Mirage, sorti en 1977, est sous-titré dans la pochette intérieure « un paysage d’hiver ». Et effectivement, Klaus Schulze a conçu un disque qui marrie le fantomatique de la forme avec le glacé du fond (à moins que cela ne soit l’inverse. Chaque face du vinyle d’origine comprend un titre, qui s’articule en six sous-parties. Le disque a été enregistré pendant l’hiver où son grand frère Hans-Dieter (qui lui apprit la batterie) mourrait. La pochette de l’album, qui représente K.S. les yeux détournés, y trouve un reflet singulier. Scintillants ou planants, le nombre de synthétiseurs est impressionnant : une armada de synthétiseurs EMS, ARP et Moog, d’orgues Farfisa sont crédités, soit une quinzaine au bas mot. Impossible pour le néophyte de remettre chacun à sa place. Mais le résultat de ces accumulations démultiplie l’admiration pour l’habileté technique du berlinois. Ceci dit, il faudra plusieurs écoutes pour pouvoir accéder à la profondeur de l’album, et en ce qu’il installe d’ambiance et de sentiment de « densité sonore » que l’intellect a tendance souvent à barrer sur la durée. Après des albums assez rythmés (Moondawn, Body Love), vient un album où la rythmique est comme recouverte de neige, c’est-à-dire… figée.
> Piste 1 : Velvet Voyage
Velvet Voyage, 28 :16, est presque purement atmosphérique. Le début de l’album est marqué par un bruit de sirènes puis quelques murmures en allemand, avant d’installer un climat mouvant qui va s’enrichir en strates successives de synthétiseurs. De là découle l’analogie avec la saison hivernale, et ses manteaux neigeux. Aux alentours de la treizième minute, un séquenceur poussé dans un fort écho s’installe dans le premier plan. Ses six notes lancinantes servent de trame mélodique. Elles sont vite rejointes par un lead marathon, qui perdure jusqu’au terme de la piste. Bourrasques de vent, bruits blancs sont progressivement recouverts par le « chant » du synthétiseur, et se terminent dans la gamme sonore la plus grave.
> Piste 2 : Crystal Lake
Crystal Lake, 29 :15, débute par une séquence (qui m’a toujours évoqué Oxygène II) cristalline (bien évidemment) d’un son de tintement de cloches. Arrivé à un plateau, le lead au son ondulant se marrie ensuite à un son de basse, pour donner une impression générale assez chatoyante, qui se prolonge sur de longues minutes. À la quatorzième minute, le paysage sonore se réduit à une note tenue et quelques caresses de Moog. (On croise quelques instants l’intro du dernier Rendez-vous, de Jarre) Dans la dernière partie de Cristal Lake (À bientôt), une séquence semblable à celle de la partie 1 nous fait glisser doucement dans le final très délié, aux phrases musicales très allongées.
> Piste 3 : In cosa chi non crede ?
En complément de l’enregistrement de 1977, l’éditeur a ajouté un titre encore plus minimaliste que les deux. Son titre est en forme d’énigme : « In cosa crede chi non crede ? » (19 :39), qui se traduit par : Est-ce la même chose ou n’est-ce pas la même chose ? Il s’ouvre comme un récital d’orgue, qui est rejointe par une séquence « rythmique » rapide. S’ensuit l’entrecroisement de lignes de synthétiseurs ballotant (parfois même bourdonnant) entre les aigües et les graves. La fin de l’album ajoute au côté mystérieux de son début éloquent par l’alignement de chacun des protagonistes sur une note basse tenue.
> Mirage à… 180 degrés
Ce voyage aux confins de la musique « scientifique » et de l’illusion du sur-place (je prends à témoin le titre de l’album) ne manque pas d’audace. En pleine époque punk d’un côté, et krautrock de l’autre, Mirage a la tranquillité de l’artisan qui peut se reculer un instant pour contempler son travail. Klaus Schulze dit de cet album que c’est le premier qu’il a conçu avant de l’interpréter, et qu’il le souhaitait froid avant même de toucher à ses claviers et programmer ses « machines à octaves ». On se souviendra que sa radicalité a su séduire un public large à son époque (y compris en France, pays que Schulze admire beaucoup), et endurcir ceux qui critiquent son stakhanovisme (Schulze enregistré tout ce qu’il produisait) et son goût de l’obsessionnel en musique. Mais toutes ces considérations autour de cet artiste feront sans doute l’objet d’un portrait prochainement.
23 novembre 2007 à 10:12
Si tu veux une aide pour les chroniques du grand Schulze,je te conseille de contacter Olivier Bégué sur son site http://www.cosmiccagibi.org…….tu ne seras pas déçu.
Bonne journée,
Fab
..::Webmaster::.. Je pense que j’y aurai peut-être recours… J’ai déjà utilisé le concours de Nicolas Kern pour le précédent article… J’espère que M. Bégué n’a rien contre les « jarriens »
22 décembre 2007 à 20:59
J’adore comme toi la musique électronique old school. Le « Mirage » de Schulze est un album impressionnant pour le travail ahurissant sur les textures sonores. Je m’associe à ton précédent visiteur Fabrice pour te conseiller de contacter Olivier Bégué, un fan de Klaus Schulze et de Tangerine Dream, qui a suivi la carrière de ces groupes « en direct » pour ainsi dire puisqu’il est de leur génération. Il est souvent en contact avec Schulze dont il est le grand connaisseur en Fance.
J’aime beaucoup les deux premiers albums de Jarre, Oxygene et Equinoxe, mais moins ce qu’il a composé par la suite.
27 avril 2008 à 1:50
« In cosa crede chi non crede ? »
En quoi croit celui qui ne croit pas ?
13 février 2011 à 21:41
« Mirage » est l’oeuvre de Schulze que j’admire le plus. Musique électronique d’une richesse de textures indépassable. Hallucinant !
5 avril 2014 à 22:27
Je pourrai écouter la séquence de Crystal Lake et les développements de cette oeuvre, car c’en est une, des heures entières !
Une pure merveille !
Merci Klaus
5 mai 2014 à 18:20
Cette séquence d’intro de Mirage (Crystal lake) est hallucinante à écouter, avec ou sans « substances »…
Si quelqu’un a la PARTITION de cette séquence de légende, ou un fichier MIDI… Je suis preneur et un vieux rêve sera accompli.
Blague à part cet album, et j’écoute bien d’autres styles, est dans mon top 10.
Iannis
mail to anarys95@gmail.com (adresse secondaire)
4 mai 2020 à 0:12
Mirage est l’album qui m’a fait entré dans l’univers Schulzien… à sa sortie !
Pour une entrée, c’était par la grande porte, je rejoins les autres commentaires, tout est remarquable.
Un must have dans la discographie du Maître.