Can, c’est le groupe allemand qui pousse l’extravagance et l’expérimentation de concert. En 1971, ces jeunes gens à la chevelure opulente, Holger Czukay, le bassiste (qui supervise tout le travail d’arrangements) et Jaki Leibezeit, le batteur, Michael Karoli à la guitare saturée, Irmin Schmidt au clavier, et le chanteur japonais Damo Suzuki. Ils accouchent de ce disque fou, Tago Mago dans le studio Inner Space. La pochette de l’album représente une coupe de cerveau humain, dans un style art brut. Ce dernier a remplacé Malcom Mooney, le chanteur d’origine. Entre Velvet underground et les Doors, les trois premiers morceaux de Tago Mago marient mélodies raffinées et batterie nerveuse. Les deux premiers s’enchainent dans la rondeur de la basse et les chuchotis de Suzuki, dont la voix passe de la caresse aux cris au gré de nombreux soubresauts. Paperhouse est assorti au rock californien de cette époque. Mushroom, morceau au titre évocateur, est un bel exemple de rock psychédélique, sur sa phase terminale (Yes vient d’imposer le rock progressif symphonique avec son deuxième album).
Oh Yeah ! est une montée extatique de nappes et de bruitages orientaux, où la voix semble se diluer dans le synthétiseur dans un premier temps, avant de faire surface au premier plan. Les jeunes oreilles trouveront quelques similitudes avec un groupe comme Radiohead. Viennent ensuite les deux titres-fleuves de l’album. Halleluwah et sa guitare funky pose d’abord une ambiance R&B, avant que le titre ne glisse progressivement aux alentours de la quatrième minute dans de multiples expérimentations « bruitistes ». Tandis que Leibezeit abat tranquillement son hi-hat. Son jeu lancinant fait beaucoup pour fabriquer une continuité stylistique à l’ensemble de l’album, qui n’utilise ses services qu’avec parcimonie. Bruits d’industrie lourde, violons et guitares mêlées, se font et se défont. Et comme si de rien n’était, Suzuki matraque ses onomatopées à la fin du morceau.
> Furie expérimentale
Mais voici que le plat de résistance. Augmn tient autant de Stockhausen que du rock n’roll… Difficile de décrire ce qu’on entend vraiment… Irmin Schmidt place sa voix dans l’entonnoir d’une chambre à écho, tandis que des sons très graves et des bruitages viennent se greffer par-dessus. Dix-sept minutes de délire musical pur, qui navigue entre musique de fête foraine et atelier d’expression chamanique. Il est intéressant de comparer ce type d’expérimentations avec certaines de Kraftwerk (la partie centrale du morceau Autobahn), car le temps semble s’échapper de la structure du morceau. Le final oppressant permet à Leibezeit d’éprouver avec vigueur ses toms de batterie. Le côté boursoufflé de la composition peut néanmoins repousser les oreilles les plus délicates. Peking 0 offre dans un premier temps de nouveaux cris primaires sur une texture musicale démultipliée par l’écho à l’infini. Puis, un rythme merengue se met en place, suivi par un échange vif entre piano électrique, batterie et le flow verbal phénoménal de Suzuki (pour prendre un terme de hip hop). Crissements de guitare, instrumentation psychédélique, le paroxysme de la densité sonore est passé alors que s’annonce les calmes premières mesures à la guitare de Bring me coffee or Tea, qui met fin à ce voyage musical hors-normes.
En terminant l’écoute, on regarde la pochette, on fait l’inventaire des instruments et des filtres possiblement utilisés et on se fait la réflexion : Comment faisait-il avec si peu de moyens ?
> Discographie
- Paperhouse
- Mushroom
- Oh Yeah
- Halleluhwah
- Aumgn
- Peking O
- Bring Me Coffee or Tea
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24 décembre 2007
CD / Divers, CD et Vinyles, Disques 70's