Nous reprenons le cours de notre grand portrait en 1976. Jean Michel Jarre enregistre son troisième (si l’on compte les Granges Brûlées) album, qui va être un choc considérable dans le monde de la musique, Oxygène. L’album, à la magnifique pochette signée Michel Granger, sera un best-seller (Douze millions d’exemplaires vendus dans le monde à ce jour) pour un album français. Les six morceaux de l’album portent simplement des numéros, ce qui sera l’objet de nombreuses plaisanteries ultérieures. Son cœur emblématique, Oxygène 4, qui sera utilisé par de nombreuses radios et télés françaises (notamment le journal télévisé d’Antenne 2).
> Propriétés d’Oxygène
Si le grand public associe spontanément Jarre aux quatre premières notes de sa fluide mélodie, la station Europe 1 diffuse l’intégralité d’Oxygène sur ses ondes, et ce, avec un câble qui prend sa source directement du studio de Jean-Michel, rue de la Trémoille. Oxygène II, qui est aussi très populaire, figurera par la suite au cinéma (En 1981, avec le film australien Gallipoli). Chaque partie d’Oxygène possède son humeur propre, d’une manière qui contraste avec les disques des talentueux Tangerine Dream ou de Kraftwerk. Son collaborateur Michel Geiss est de premier conseil sur l’album, ils travaillent dessus ensemble trois semaines jour et nuit (c’est la nuit que viendront les idées les plus pertinentes) et il en ressort un saut qualitatif énorme par rapport à Deserted Palace, par exemple. Jarre compose Oxygène sur un magnétophone 8 pistes, avec autant de synthétiseurs. Je repense à l’évocation de ces conditions spartiates au grand-père de Jean Michel qui bidouillait des machines folles dans son atelier. Parmi ceux-ci, on trouve l’Eminent, qui décrit bien le son général de l’album, le RMI qui colle au solo très « latin » d’Oxygène IV, et l’AKS pour les bruitages naturalistes, qui parsèment ses six délicieuses parties. Le succès d’Oxygène prend partout dans le monde, et il permet à la musique électronique de prendre un essor commercial qui ne se démentira plus jamais. Cet album a été cité régulièrement parmi les meilleurs albums de tous les temps. Oxygène donnera lieu à une suite, intitulée Oxygène 7-13, en 1997.
> Equinoxe, l’album électro-choc
Puis, deux ans plus tard, Jarre va prolonger le plaisir et l’expérimentation avec ce qui est, pour beaucoup de fans, son meilleur album : Equinoxe. Le disque à la pochette aux bonhommes bleus de Michel Granger se vendra à huit millions d’exemplaires. (Note : pour les albums suivants, je ne citerai plus le nombre d’exemplaires vendus, pour des raisons d’aération du texte). Il enregistre l’album dans le studio qui se trouve à l’intérieur sa maison cossue de Croissy-sur-Seine. Le disque, voulu ainsi par son créateur, correspond à différents moments de la journée. Michel Geiss perfectionne encore les séquenceurs disponibles à cette époque et rend possibles les sons voulus par Jarre pour leur conférer un aspect unique, quasiment organique. Sur la durée, un titre en « 4 » se démarque de ce joyau de la musique électronique, pour prendre la dimension de standard de la musique électronique, alors que le « 5 » semblait, mais semblait seulement, mieux placée au début de la face B.
> Le concert de la Concorde
En 1979, il se produit « seul sur scène » ou plus exactement « seul sur place » pour le premier de ce qui allait devenir ses méga-concerts : un million de parisiens passent le 14 juillet en sa compagnie sur une Place de la Concorde bondée. C’est à cette occasion qu’il croise la route de Francis Rimbert, qui lui prête des synthétiseurs pour la scène. Pour la raison simple qu’il est seul, le spectacle se déroule en play-back intégral. Les journaux spécialisés avaient affirmé qu’il serait incapable de rejouer ses albums dans les conditions du direct. Récemment, il a prouvé que l’on pouvait rejouer (Oxygène du moins) en concert, mais sous abri, avec ses concerts au théâtre Marigny.
> Les chants magnétiques et Tintouin en Chine
Les chants magnétiques sortent en 1981 : moins planant que ses deux prédécesseurs, ce disque fait la part belle aux boites à rythme, mais voit aussi et surtout apparaître le premier échantillonneur : Le Fairlight CMI I, pour lequel Jarre a cassé sa tirelire. Cet instrument permet d’intégrer des enregistrements et de les traiter en hauteur de timbre et d’enveloppe.
Toujours en 1981, Jean Michel Jarre part en Chine pour une tournée historique de cinq concerts avec trois musiciens (Dominique Perrier, Frederick Rousseau et Roger Rizitelli), pour laquelle il composera des morceaux inédits spécialement conçus pour le public chinois. Il faut signaler que c’est lors de cette tournée qu’apparait pour la première fois la fameuse harpe laser. Cette aventure hors du commun fera l’objet d’un album intitulé les Concerts en Chine, publié en 1982. Didier Marouani et son groupe Space vivront une relation intense similaire avec le public russe vers 1983.
> 1983 : « Piratez-moi ! »
1983 sera une année unique pour Jarre. Unique, au sens où il va commettre un geste spectaculaire en direction de l’industrie du disque, en travaillant sur un album qui ne sera édité qu’à un seul exemplaire, ce sera Musique pour Supermarché, puis vendu dans des enchères caritatives et le master, détruit. Jarre, qui ne perd jamais vraiment tout à fait ses petites affaires, ressortira deux variations de ses titres sur l’album suivant, Zoolook. Mais pour ce qui est des originaux, la seule trace de ses huit parties sera son unique passage à l’antenne de RTL. Ceci sera précédé par ce slogan qui prend un relief particulier à l’ère du numérique : Piratez-moi ! C’est devenu la phrase-piège que l’on ressort à Jean Michel régulièrement depuis, avec plus d’acuité encore à l’ère du numérique.
> Zoolook, on en reste sans voix
Zoolook, puisque l’on vient d’en parler, est un album à part dans la discographie jarrienne. Il utilise la voix humaine pour motif principal, et dans le rôle d’accompagnant de luxe, tout simplement les meilleurs musiciens de New York. On y croise le bassiste de Miles Davis, Marcus Miller, le guitariste des Talking Heads, Adrian Belew, et Laurie Anderson, l’artiste expérimentale. Le style est très rythmé, excentrique. Zoolook a les défauts et les charmes de son originalité, et s’il est malaimé par un certain nombre de fans, même si tous reconnaissent en Ethnicolor, partie 1 l’un des meilleurs titres (le meilleur, selon moi) de Jarre toutes époques confondus. Les voix humaines ont été sélectionnées en collaboration étroite avec l’ethnologue Xavier Bellanger, qui a enregistré des langues du monde entier. Jean Michel y a même enregistré sa propre voix (je crois que c’est sur Blah Blah Café).
> Rendez-vous, l’album à emporter
Un an plus tard, alors que les texans et les responsables de la NASA ont obtenu de Jarre qu’ils viennent se produire chez eux, Jarre sort un album assez peu travaillé en termes de son (ce qui tranche avec l’album précédent), Rendez-vous, dont la pochette signée Michel Granger représente une femme au visage de globe terrestre. L’album a été bouclé en deux mois et les sound design n’est pas allé très loin. Ces rendez-vous, s’ils ne sont pas manqués (je sais, c’est facile), sont tous des reprises d’anciens morceaux de Jarre, à part la deuxième face de l’album, qui contient entre autres l’inoxydable Rendez-vous IV et sa mélodie puérile.
> Les premiers « méga-concerts » : Houston…
Jean Michel Jarre utilise donc le mot Rendez-vous comme intitulé de son concert homérique à Houston, Texas, le 5 avril 1986, au milieu des tours du centre-ville. Le ciel s’embrasse aux effets pyrotechniques (conçu par un français, d’ailleurs), aux lasers et aux projections d’images géantes de ce show dédié à la NASA et aux astronautes décédé de la navette Challenger. C’est du jamais vu dans le monde de la musique, la technologie et la poésie associées de cette façon. Un million et demi de personnes assistent à ce show qui rentre aussitôt dans le livre Guiness des records, au titre du public le plus nombreux pour un évènement musical gratuit.
> … puis Lyon
En octobre de cette même année, le lyonnais revient dans la ville qui l’a vu naitre avec un programme musical sensiblement identique. Ce concert à Lyon est en l’honneur du pape Jean-Paul II. Sauf qu’au lieu d’embrasser le « skyline » de Houston, ce sont les collines de Fourvière qui sont éclaboussés de couleurs. À chaque fois, le public est émerveillé par le spectacle où Jarre mêle des chœurs et des orchestres classiques à certaines de ses compositions (comme sur le très beau Rendez-vous II, qui est à l’origine la chanson La Belle et la Bête, composée par Jarre pour Gérard Lenorman). Un album qui regroupe quelques-uns des meilleurs moments des deux concerts est édité, il s’agit de Cities in concert : Houston / Lyon. Sa réputation de mégalomanie ne le quittera plus jamais à partir de ces deux concerts historiques.
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Prochain épisode : 1987-1997
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Aide pour les sources : jeanmicheljarre.com
11 août 2013 à 21:30
Dommage que la jaquette des albums occultes une partie du texte. Il aurait été interessant aussi de mentionner les ventes pour tous les albums.
14 septembre 2013 à 11:31
Puis-je savoir sous quel navigateur vous êtes, merci ?