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Jean-Michel Jarre : J’ai toujours été intéressé par les nouvelles technologies, parce qu’elles font partie du monde de la musique électronique. Mais en même temps, la mythologie, les fondations de la musique électronique viennent d’instruments très particuliers, qui ont été conçus, disons, entre les années 20 et les années 70. Et ils ont soudainement disparus à cause de l’explosion de l’ère digitale, le monde de l’informatique, sans devenir connus du « grand public », d’une certaine manière. Donc, ce n’est pas un geste de nostalgie du tout de jouer avec ces instruments. Je suis convaincu qu’ils ont encore toute une vie devant eux.
Les instruments analogiques sont l’équivalent des « Stradivarius » pour la musique électronique.
En musique, il y a quelque chose de très spécial : par exemple, si vous considérerez la musique classique, le rêve de tout joueur de violon au monde en 2008 est de jouer sur un Stradivarius, un violon qui a été conçu il y a quatre siècles. Et en quatre cents ans, personne n’a réussi à le battre en termes de qualité et chaleur. Cela prouve que le temps, le progrès technologique n’est pas déterminant en matière d’instruments de musique. Parfois, certaines personnes ont des secrets ou des savoirs-faires singuliers que vous ne pouvez pas remplacer.
La musique électronique est souvent déracinnée.
C’est exactement le cas pour les instruments analogiques. En plus, de nos jours, à cause de cette disparition, la musique électronique est souvent déracinée. Cela se voit dans tous les logiciels de musique sur les ordinateurs de nos jours qui imitent les instruments analogiques, jusqu’à reproduire leur look. Ainsi, vous devez bouger les oscillateurs avec votre souris, sans en utiliser de vrais. C’est un peu comme si vous étiez en train de jouer une guitare Gibson, Fender ou même un violon, à travers l’écran de votre Macintosh. Ce serait paradoxal. C’est exactement la même chose avec ces instruments. Ils ont une chaleur particulière, une texture bien à eux, que vous ne pouvez pas imiter. Il y a des tas de choses très amusantes à faire sur un ordinateur, mais pas cela. En réalité, ce fut une redécouverte pour moi. Pour être honnête, j’avais presque oublié ces instruments, au fil des années. Et d’un seul coup, de les réintroduire dans un studio, de réenregistrer cet album, m’a donné l’envie de partager cette expérience dans un contexte plus intime, sur scène. Et d’inviter le public dans ma cuisine, en quelque sorte.
Faire revivre les vieux instruments.
La musique électronique a besoin de créer le lien avec ses débuts. Ce qui n’a pas encore été fait. Elle a donc un grand avenir, juste en reconnaissant d’où elle vient. Tous les musiciens de musique électronique rêvent, fantasment à propos de ces instruments, mais ils sont devenus difficile à se procurer. Une tournée comme celle-là va certainement beaucoup aider, y compris à permettre à de gens de remettre en état ces claviers. Ce n’est pas simple de le faire, mais c’est possible, comme n’importe quelle chose que vous décidez dans la vie.
Je fais ma musique comme de la cuisine.
Qui sait, demain, vous pouvez peut-être lancer une nouvelle gamme d’instruments analogiques ? Il est temps de sortir de ce vortex, dans lequel nous avons été enfermés depuis les vingt dernières années. J’ai toujours considéré la musique électronique non comme abstraite, non comme robotique ou déshumanisé, non comme froide comme cela a été tant dit, mais exactement l’inverse. Faire de la musique électronique, c’est comme cuisiner. C’est un peu comme mélanger des ingrédients, des textures, des couleurs, d’une manière sensuelle, organique et tactile. Je ne pense pas que vous puissiez faire cela avec un ordinateur, même si vous pouvez faire des tas de choses avec cet outil. C’est comme de revoir un ami oublié dans la rue par hasard et de se dire : très bien, on ne va pas gâcher les dix ou quinze prochaines années sans se perdre de vue à nouveau. En d’autres termes, j’ai vraiment envie de garder ces instruments comme le cœur de mes prochaines compositions. Je pense sincèrement que c’est la direction que nous devrions prendre.
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4 mai 2008
Bio de Jarre, Interview / Jarre, Jarre en perspective