Tour de France Soundtracks était attendu par les fans de Kraftwerk comme l’album qui allait pouvoir à nouveau doper leur carrière, en roué libre depuis deux albums (en réalité, un disque de remix et quelques titres live) à l’accueil mitigé, et surtout, au terme d’un contre-la-montre par équipe des Kling Klang bruders qui s’apparente à une traversée du désert de 17 ans.
On parle souvent de Tour de France 2003 en spécifiant le titre « Tour de France » issu de cet album, pour le distinguer du single Tour de France de 1983, dont les arrangements initiaux de François Kevorkian ont été modifiés à la sauce numérique par Ralf Hütter, Florian Schneider, Maxime Schmitt et Fritz Hilpert. Ce titre qui devait être présent l’album mort-né techno-pop (remplacé par Electric Café), contenait les deux idées principale de Kraftwerk au sujet du vélo : un regard nostalgique (voir les images en noir et blanc du clip Tour de France) et mécaniste ou scientifique (cf. le titre Titanium).
> Arrière-plan
La pochette de l’album reprend d’ailleurs l’esprit de la pochette de ce single, qui juxtapose les couleurs bleu, blanc rouge à un graphisme années 30 représentant une file de quatre (tiens donc !) cyclistes devant, et la tour Eiffel, derrière. Une partie de l’album a été intégré aux festivités du centenaire de la naissance du Tour de France, en 1903. Mais que ce soit clair, le concept de l’album peut s’étendre à tout le sport professionnel.
Le tour de France a 100 ans et (…) pour nous, c’est un but à atteindre. (Ralf Hütter, interview à Nova Magazine, 2003, Source)
Le lancement de l’album par EMI a été précédé de quelques semaines par la sortie d’un maxi qui regroupe les trois premières étapes de Tour de France 2003. Des intégrations d’extraits de cet album sont faites dans les génériques de diverses émissions de télévision en Europe. Quant au clip de Tour de France 2003 comprend des images des coureurs assorties des mots-clés du jargon cycliste : maillot jaune, sprint final, etc.
À noter que c’est la première fois dans son ère quatuor « classique » que Kraftwerk n’enregistre pas de versions en plusieurs langues, et ce, pour respecter la langue du speaker officiel – Radio Tour Information – qui s’exprime en français. La fascination des allemands pour le Tour à cette époque n’a pas baissé depuis la première arrivée en jaune à Paris d’un des leurs, Jan Ullrich, en 1997 en pleine cascade de casaques vertes de meilleur sprinteur pour Eric Zabel. Le public allemand rêve de voir la « locomotive » Ullrich, abonné au rôle de faire-valoir, de renverser l’extra-terrestre Armstrong. Il terminera finalement deuxième à seulement… une minute !
> Aspects musicaux
Mais revenons à nos sillons. À l’été 2003, l’album se hisse brièvement au sommet des ventes en Allemagne et le single Tour de France rentre dans le top 20 britannique. Sur Tour de France, on trouve en plus des bruits recréés de chaines, de rayons et de dérailleur, des enregistrements réalisés par Ralf Hütter (le plus passionné de vélo des quatre) lui-même pendant l’effort sur son vélo. Ailleurs, le vocoder complète la dualité homme/machine qui fait le délice des commentateurs érudits.
En travaillant sur cet album, nous avons essayé d’incorporer ces sensations de douceur, de glisse, de roulement. Tel est le son du nouvel album. (Rälf Hütter, interview au Chicago Sun Times, 2003, Source ibid)
La symbiose entre le coureur cycliste et sa machine est l’objectif de ce le disque, plus que la bande-son de la course, comme le titre le suggérerait plutôt. L’esthétique de Vitamin est à cet égard le titre le plus contre-productif, eu égard aux mauvaises interprétations qu’il a suscité quand à son apologie du dopage, ce qui est à l’insu de leur plein gré, bien sûr. Ce titre assez faible est une décalque de l’album Computer World. Le côté très répétitif de la première moitié de l’album – les cinq premières pistes – rebute un peu une écoute fluide de l’album. Seuls de légères modulations viennent nous extraire de l’idée que Kraftwerk a voulu faire une musique trance, même sophistiquée. Mais, passé ce cap, les choses ont plutôt tendance à reprendre la tradition de Radioactivität, des rythmes imparables et des constructions électro-pop savantes. Les titres Aéro Dynamik (très dansant) et Elektro-kardiogramm sont mes préférés. Kraftwerk fait dérailler ses séquences haletantes le temps de profiter de la mélodie subtile du titre La forme. On sent que l’esprit des grands disques des années 70 est encore sous-jacent aux mélodies quand elles ne sont pas obstruées par des samples, et des boucles tapageuses. Les rythmes acérés de cet opus 2003 de Tour de France sont représentés en masse sur la longue tournée de 2004-2005 de Kraftwerk, qui est compilé sur l’album live Minimum-Maximum.
> En conclusion
Vous l’aurez compris, ce disque n’est pas en tête de peloton de mes disques de Kraftwerk préférés, non qu’il soit trop dans la roue des leaders de la techno, mais plutôt parce qu’il témoigne d’un certain essoufflement créatif sur la durée de l’album. Les fans, globalement déçus par le continuum du maxi Tour de France, trouveront plus de regrets que de satisfaction à la recherche de sons nouveaux des pensionnaires de Kling Klang. Peut-être que dans la « voiture-balai », Karl Bartos et Wolfgang Flür, les honnis du groupe de Düsseldorf, se disent que cette hybridation entre le vélo et l’ordinateur pouvait très bien se faire sans eux. Et Rälf, grisé par l’obsession de la vitesse appliqué à la bicyclette, de regretter certainement qu’il n’ait pas le niveau pour figurer parmi les pros de la Petite Reine.
> Track-listing
3 juillet 2009
CD / Kraftwerk, Kraftwerk