Voici un album particulièrement important dans l’histoire de la musique électronique. E2-E4 est une pièce de musique enregistrée le 12 décembre 1981 au studio Roma de Berlin au cours d’une heure de session d’enregistrement avec des séquenceurs, une guitare électrique, une boîte à rythmes et divers effets électroniques. Il se compose d’une seule piste, entièrement live, sans retouches, divisée en 9 morceaux. Son nom et le visuel de son pochette font référence à un mouvement d’ouverture dans le jeu d’échecs, dont Göttsching était friand. Certains critiques ont aussi pu assimiler le titre à une ligne de programme d’ordinateur (Göttsching ayant une formation en informatique) ou un clin d’œil au célèbre robot de la Guerre des Etoiles, R2-D2. Ce disque, premier sous son nom et consécutif au démantèlement d’AshRa, en parfait représentant de la musique électronique minimaliste, ne comporte que deux accords, par-dessus lesquels vient se greffer ce qui ressemble fort aux premiers pas de la musique house. Et de fait, quand on écoute l’album aujourd’hui, impossible de dater de… 1981.
> Coup d’attente
Le matériel de E2-E4 se compose ainsi : un ARP Odyssey, un Prophet 10, deux Minimoogs (un pour la basse, l’autre pour les noises), une boîte à rythmes EKO, un EMS Synthi A et un Pearl Syncussion. D’une petite phrase musicale, le morceau grandit lentement avec des strates successives de séquences hypnotiques, sur fond d’un subtil bourdonnement constant. Manuel Göttsching a utilisé sa guitare comme un instrument de percussion au-dessus de motifs répétitifs, dans une veine expérimentale (sur un solo de guitare de plus de 30 minutes, Manuel Göttsching a le temps de l’introspection) quoique dansante. Comme son travail est trop avant-gardiste, l’album dort dans un carton et attend que l’époque rattrape le style visionnaire de son géniteur.
E2-E4 sera finalement publié en 1984, à la demande de Klaus Schulze pour son label InTeam, d’abord à 1.000 exemplaires. Et l’accueil est glacé. Seul Richard Branson prédira un succès mondial à ce style de musique. Les critiques de l’époque assassinent (certains articles allemands de l’époque lui dénient toute musicalité) le travail de Manuel, ne se rendant pas compte qu’E2-E4 anticipait toute une nouvelle génération de musique qu’on appellera la « house music ».
> Appropriation par la scène house
En effet, dès qu’il atterrira dans leurs mains (un peu par miracle), ce disque sera remixé par des quantités de DJ dans les années 80, joué à des fréquences très élevés à New York, Chicago et Détroit. Ce sera l’hymne du Paradise Garage et le morceau préféré de Larry Levan (il le fera jouer pour son enterrement), le DJ le plus emblématique des années 80. Néanmoins, le plus célèbre remix est celui du groupe italo-house, DCF, Sueno Latino en 1989, qui exacerbe le rythme samba perceptible sur l’original et y ajoute les râles féminins typiques de ces productions italiennes. Sueno Latino atteint la première place des charts européens et sera remixé par des stars de la deuxième génération (post premiers morts du SIDA, pour faire vite) de DJs comme Carl Craig et Derrick May. Des années plus tard, Manuel lui-même est surpris de voir son disque autant cité comme influence par la scène « dance ». Une version ambient techno d’E2-E4 verra également le jour, celle d’Alex Patterson de The Orb.En 2000, dans le cadre de l’exposition « Paris-Berlin 2000 », Göttsching avec l’orchestre de chambre Zeitkratzer interprète E2-E4 avec des instruments classiques.
> Anniversaire et performances live
En 2006, pour fêter le vingt-cinquième anniversaire de la création du disque, une version spéciale est éditée, avec des textes de présentation sur la conception de l’album. En Août 2006, il joue à nouveau en solo E2-E4 avec des instruments plus modernes, guitare électrique et effets électroniques au Japon (première au Festival Metamorphoses), puis en Allemagne, et deux ans plus tard, propose une expérience totale similaire (avec les visuels du collectif Joshua Light Show) dans la cadre du festival de musique instrumentale de New York.
> Track-listing
- « Quiet Nervousness » – 13:00
- « Moderate Start » – 10:00
- « And Central Game » – 7:00
- « Promise » – 6:00
- « Queen a Pawn » – 5:00
- « Glorious Fight » – 3:00
- « H.R.H. Retreats (With a Swing) » – 9:00
- « And Sovereignty » – 3:00
- « Draw » – 3:00
> Ressources sur le web
- Site officiel de Manuel Göttsching(en anglais)
25 septembre 2009 à 4:29
Grâce à ce blog, j’en apprends toujours sur la musique électronique. Cette fois, c’est une claque monumentale que je viens de prendre en écoutant cet extrait et en lisant l’histoire de ce disque, que je me dois de posséder avant la fin de l’année.
Merci Jeanbatman, pour ta contribution à la mise en lumière d’artistes et d’albums qu’on ne connait pas ou mal et qui ressurgissent avec un effet de « dépoussiérage » qui remet les choses dans leur contexte.
..::Webamster::.. De rien, si je peux relancer à mon échelle nanoscopique relancer l’industrie du disque tout en me faisant plaisir à l’écriture, c’est que du bonheur!