Le 8 Décembre, 1991 Jean-Michel Jarre était aux Pays-Bas pour promouvoir son nouvel album Images. Il a été invité dans le programme « mercredi soir avec Willigenburg », interrogé par le très présentateur francophile Hans van Willigenburg. La salle était remplie de fans, arborant pour certains d’entre eux des tee-shirts de l’artiste, tous invités par la production.
Journaliste : Est-ce que cela a commencé, votre amour de la musique, avec votre père ?
JMJ : Oui, mon père était musicien. Mais mes parents ont divorcé quand j’étais très jeune. Et finalement, j’ai eu plus d’influence de ma mère et de mon grand-père, qui était aussi musicien, mais qui était aussi un inventeur. Qui a inventé une des premières consoles de mixage pour la radio, en France. Et puis aussi les premiers « pickups » après la deuxième guerre mondiale, les premiers pickups portables. C’est lui qui a inventé ça en France. Avec les gens de Philips, d’ailleurs, des hollandais. Donc, c’était une entente cordiale entre les hollandais et les français.
Présentateur : On était les premiers, quand même ?
JMJ : Oui, oui, tout à fait.
Présentateur : Est-ce que vous croyez aussi que vous êtes un inventeur, plus qu’un musicien ?
JMJ : Non, mais je crois que tous les artistes sont des inventeurs. Un artiste, un musicien, c’est une éponge. Moi, je suis une éponge pour essayer d’être influencé par le maximum de choses possibles et puis après, à travers sa propre personnalité, on invente quelque chose qu’on espère être original.
Présentateur : Vous avez dit une fois : « Quand j’entends de la musique, dans ma tête, je vois déjà les images. Comment ça marche ?
JMJ : Oui, c’est vrai que pour moi la musique, c’est tout à fait visuel. Le best-of qui sort ces jours-ci, qui s’appelle « Images » veut bien dire ce que ça veut dire. Pour moi, la musique a toujours été liée au visuel. J’ai toujours considéré la musique finalement comme un des éléments de l’environnement – Le cinquième élément – peut-être avec l’eau, l’air, la terre et le feu. La musique est un élément vital, et pour moi, ça a toujours été lié à l’environnement et au monde de l’image. C’est pour ça d’ailleurs que je fais peu de musiques de films. Parce que je pense que la musique elle-même peut être la « soundtrack » (NDLR : la bande originale) du film que vous avez dans la tête. Que chacun a dans sa tête.
Présentateur : Vous avez sans doute commencé en étudiant la musique classique.
JMJ : Oui.
Présentateur : Vous n’avez pas aimé ?
JMJ : Si, si, si ! J’ai beaucoup aimé la musique classique. La seule chose c’est que c’était l’explosion du rock et de la musique rock. Et puis, aussi, je me suis intéressé très vite à ce qui allait devenir le synthétiseur, qui pour moi, était paradoxalement l’instrument peut-être le plus poétique. C’est-à-dire un instrument où, un petit peu à la manière Fellini, qui préfère recréer la mer en studio avec du tissu et de la peinture, plutôt que d’aller filmer la vraie, le synthétiseur permet justement de recréer, d’évoquer, le bruit de la mer, le son du vent, le son de la pluie. Vous savez, mon éditeur, Francis Dreyfus, avec qui je travaille depuis le départ, m’a un jour dit quand on s’est rencontrés : « Essaie de me faire le son de la lune ». Et bien, justement, le synthétiseur, c’est un instrument qui peut peut-être créer le son de la lune.
Présentateur : Quand vous faites vos concerts, comment vous voyagez ? Avec beaucoup de valises ? Parce que c’est incroyable ce qu’il vous faut pour ces concerts.
JMJ : Oui, parfois je rêve de jouer de l’harmonica, parce que je pourrai le garder dans ma poche. Euh.. Je crois que ça fait en même temps partie du… Vous savez on appelle les artistes les gens du voyage, aussi. Et je crois qu’on vit dans une époque très conformiste, finalement, où les images sont les mêmes à Amsterdam, à Paris, à Tokyo, à Sydney, où… ce qui est différent est finalement rare. Et je crois qu’aujourd’hui de prendre pour un concert, pour un soir, de prendre effectivement autant de valises et de bagages avec soi, pour détourner un endroit vierge, un endroit qui n’a pas encore été exploré, pour un concert, c’est quelque chose qui va bien avec ce que moi, je pense être la vie d’un musicien, d’un artiste, de faire quelque chose de différent.
Présentateur : Mais qu’est-ce qu’il faut prendre ? Parce qu’il y a dix ans, je crois, que vous étiez en Chine. On n’a pas tout ça, là.
JMJ : Non, on a apporté tout ça de France.
Présentateur : Avec beaucoup d’avions ?
JMJ : Avec quelques avions. Mais surtout, avec des plus petites valises. Et les chinois nous ont quand même beaucoup aidés. Et à chaque fois, on arrive quand même à… j’arrive toujours à avoir une aide très importante du pays, et d’impliquer les communautés locales. C’est important de garder pour moi cette idée de « civic event » (NDLR : événement citoyen). Quelque chose qui n’est pas uniquement du show-business mais quelque chose qui implique en même temps les musiciens du pays, les artistes, les designers, les graphistes du pays. C’est une chose importante pour moi.
Présentateur : En Chine, en ces temps-là, on n’avait pas encore ces synthétiseurs, comme vous le dites. Maintenant, on peut l’apprendre, même, à l’école. C’est grâce à vous ?
JMJ : Oui, j’ai apporté le premier synthétiseur en Chine pour le Conservatoire de Pékin. Et c’est un très bon souvenir parce qu’ils ont pris cet instrument, et puis, six mois après, ils ont créé une école et une classe autour de cet instrument et aujourd’hui, il y a des gens qui, grâce à ce premier instrument électronique, en Chine, ont eu accès à la musique électronique. Donc, ça c’est aussi le rôle d’un artiste, quand il va dans un pays aussi différent des nôtres.
Présentateur : Quand vous faites un concert, ce n’est pas uniquement la musique. Ce sont les images, comme vous venez de dire. Et vous aimez surtout les bâtiments, les monuments. Vous êtes un peu architecte aussi ?
JMJ : Oui, je n’aime pas que les monuments. J’aime bien les gens qui vivent autour des monuments. Et je crois souvent que l’espace et l’environnement dans lequel on vit, dans lequel chacun vit ici, quand on passe devant Big Ben, devant la Statue de la Liberté, devant la Tour Eiffel, finalement, on ne le voit plus. On oublie tout ça. Et je crois que le fait de recréer, de célébrer un peu notre environnement, l’espace d’une soirée, est quelque chose qui fait qu’on ne verra plus jamais son espace de la même manière et sa vie de la même manière. C’est pour ça que j’aime l’architecture. Pour moi, l’architecture est un des ingrédients visuels pour jouer la musique que j’ai envie de jouer dans des endroits différents.
Présentateur : On va entendre et regarder votre musique avec Calypso, avec, je crois, quarante steel-drums ?
JMJ : Oui, qui venaient de Trinidad. C’était pour le concert qui était donné pour les fêtes qui étaient données pour les fêtes du bicentenaire [sic] à Paris, l’année dernière.
Présentateur : À Lyon, où vous êtes né, vous avons fait un spectacle, il y a quelques années, je crois, pour le Pape. Est-ce qu’il a aimé ?
JMJ : Ben, il faudrait lui poser la question en dehors de ma présence.
Présentateur : Oui, mais…
JMJ : J’espère pour vous qu’il viendra…
(Rires)
JMJ : Il m’a souhaité bonne chance pour demain, la veille quand je l’ai rencontré. Il a regardé pratiquement tout le concert du haut de la colline de Fourvière qui est la grande colline qui domine la ville de Lyon. Il faut dire que ça a vraiment été un moment extraordinaire pour moi, parce que Lyon est ma ville natale, qui en plus baignait dans une atmosphère bien entendu très spirituelle, mais avec un temps merveilleux, un public extraordinaire. Je dois dire que la prochaine fois que j’irai faire un concert en Angleterre, je téléphonerai peut-être au Vatican avant, pour être sûr du ciel et de la pluie…
Présentateur : ..De même pour nos vacances ! Finalement, quand aura-t-on un concert en Hollande ?
JMJ : Et bien, je travaille sur un projet qui pourrait prendre place dans différents pays européens. Autour de l’Europe.
Présentateur : Nous sommes inclus ?
JMJ : Bien entendu. Pour moi, il y a longtemps que je veux faire un concert ici, en Hollande, et, probablement à Amsterdam. Je voudrais vraiment que ce projet européen soit l’occasion pour venir faire quelque chose de particulier en intégrant les artistes, les choristes ou musiciens, ou aussi artistes graphiques hollandais, au moment où ce concert se passera, à Amsterdam.
Présentateur : C’est promis, ça ? Merci beaucoup.
JMJ : Merci à vous. Au revoir.
26 octobre 2009
Interview / Jarre