Jean Michel Jarre revient avec un deuxième opus d’Electronica, intitulé The Heart of Noise, Un hommage au futuriste et conceptualiste italien Luigi Russolo, auteur de « l’Art des bruits » écrit en 1913, et qui préfigurait la révolution électro-acoustique. Contrairement au premier Electronica, JMJ a ajouté à ses collaborations ses propres compositions: The heart of Noise, qui se décline en trois (excellentes) parties, mais aussi Falling down (on rajoutera Exit).
Que dire de cet album? Et bien il est plus cohérent que le premier, sans doute parce qu’il comporte plus de chansons, que les trois déclinaisons de The Heart of Noise sont des titres assez Jarre première époque, et qu’il a une couleur « années 80″ parfaitement assumée, avec des têtes de gondoles comme Pet Shop Boys, Cindy Lauper, Gary Numan, ou les moins connus en France Primal Scream, là où The time machine faisait un aller retour incessant entre l’ultra-moderne et les années 70.
> Pop is not dead
Côté réussites, il y a le triomphe absolu du pop-song writer avec Brick England, dont le texte est inspiré par Charles Dickens, pendant lequel les univers des artistes sont en fusion. Les Pet Shop Boys ont commencés à écrire cette musique sur la base d’un mélodie de Jean-Michel en juillet 2015, ce qui coïncide avec le nouvel album « Super » des Pop kids. Où comment l’organique rencontre le métallique…
Pour As One, au détour d’une intro assez ambiant, Jarre prend zéro risques puisqu’il sample un des grands succès du groupe Primal Scream, Come together (dont la mélodie n’est pas sans rappeler celle de Chronologie 4, c’est là où tout se boucle) et l’habille d’un petit groove loin d’être désagréable. C’est de la pop assez sucrée, sans grande envolée, une sorte de « Give me a sign » survitaminé.
Le hit futur Swap to the right qui traite des relations amoureuses à l’heure de Tinder est un cocktail vitaminé de la voix perçante de Cindy Lauper et d’arrangements modernes avec de gros sons qui claquent et un final qui rappelle Oxygène 2 avec usage de la Minipops.
Ce que je pense de ces trois titres ? D’une manière fantasmée (terme omniprésent dans son marathon promotionnel) il réalise sur le tard avec Electronica les hits des années 80-90 qu’il n’a pas eu le temps de composer pour d’autres pointures, comme avec Cindy Lauper, un très bon morceau, Swipe to the right en artificier du son, ou Brick England, en mélodiste imparable.
Et puis il y a le titre avec Yello. C’est soyeux, c’est élégant, c’est du caviar pour les oreilles. Dieter Meier fait oublier l’absence de grand chanteur (ou chanteuse) sur ce disque en étant le seul à chanter « pour de vrai » (mais en talk-over quand même) sur le disque dans une prestation feutrée et détachée. Parfaite pour souligner la lente et majestueuse orchestration autour de lui.
> Rayon bricolage
Au rayon des expérimentations, on retrouve, dans trois registres bien différents, Julia Holter, The Orb et Jeff Mills. Holter est de la trempe de Laurie Anderson (qui était sur le premier Electronica), sa voix dilue le temps, elle est en lévitation. Et même si le morceau met du temps à se trouver un équilibre entre ce côté onirique et le caractère un peu empesé des arrangements, le contrat est rempli.
Avec The Orb, Jarre avait eu un différent à l’époque d’Odyssey through O2, et cette entrave avait paradoxalement révélé le duo au monde, avec Toxygene, leur plus gros hit. Switch on Leon est un morceau progressif au sens le plus prosaïque du terme, avec un festival de boucles électroniques où il est impossible (et sur ce projet, cela reste le débat récurrent) de dire qui fait quoi, de Jarre ou du duo. Une belle alchimie.
Jeff Mills, lui, se place derrière sa Roland TR-909 et improvise tout le long de The Architect (surnom que lui a donné JMJ). les 2 hommes se sont rencontrés en 2000, mais leur collaboration a quelque chose de logique tant leur discours sur la technologie se rejoint. Jarre a placé quelques cordes sur ce morceau, ce qui en fait un archétype de techno avec des bribes de classique.
> Se jouer des styles (ou pas) mais volontairement
Sébastien Tellier navigue entre Kraftwerk et Bronski Beat dans un morceau totalement déjanté, Gisele, qui narre la relation imaginaire (ou pas) qu’entretient ce dernier avec une poupée gonflable. Pour qui ne connait pas le second degré façon Tellier, le morceau peut dérouter. Il y a en effet dans ce morceau un concentré de plusieurs styles, et la voix trafiquée de Tellier fait lien entre chacun.
Gary Numan, lui, tel un vampire, ne quitte pas son habit d’éternel dandy de l’électro, à mi-chemin entre David Bowie et The Cure. Le morceau fait avec Jarre chez lui est très proche de « Are friends electric? » pour ses sonorités, avec des paroles en forme de complaintes. Ce Here for you, bien troussé, a un côté hypnotisant.
Les aventures soniques de Jarre le pousse devant la porte du studio de Hans Zimmer pour un voyage Hollywoodien qui prend le nom d’Electrees. Un morceau avec pas mal d’emphases, ponctué par le VCS-3 en saccades façon « La Guerre des étoiles », qui malheureusement se termine assez vite en une sorte de mélange précipité de Rendez-vous 2 et de la BO d’Interstellar. Ces 4 minutes sont d’autant plus frustrantes que le monde de la musique de film attend JMJ depuis que ce dernier a déclaré que la mort de son père lui avait donné envie de s’y plonger.
Manière alternative de s’attaquer à l’Amérique (chose dont il parle de plus en plus) que les grands festivals, avec Electrees, il s’ouvre une fenêtre sur le cinéma US (dont il a toujours dit préférer le circuit indépendant) en collaborant avec l´un des pontes du secteur. On regrettera au passage l’absence de David Lynch dans ce projet.
> Quelques dommages collatéraux
Disons le avec franchise, les deux seuls ratés de l’album sont Exit (avis partagé par de nombreux fans) et, dans une moindre mesure, What you want, qui explore le territoire rap ou plus exactement du R’n'B, ce qui est une première pour un album de JMJ. Dans le premier cas, Jarre tente d’actualiser la techno gabber ou hardcore des années 90 (à tempo très rapide de l’ordre de 150) avec des plug-ins qui reproduisent du son 8-bits, ce qui est un exercice de style assez paradoxal. Dans le cas de What you want, Jarre est à la remorque de la scansion de Peaches et en manque d’inspiration côté palette de sons. Ce morceau m’a fait penser à du Téo et Téa par moments… Collaboration inattendu entre toutes…
L’apparition de l’informaticien reclus en Russie Edward Snowden sur ce morceau Exit est placée bizarrement aux 2/3 du morceau, ce qui est trop loin pour ceux qui auraient passé leur chemin, et pas assez central pour rendre grâce au concept général de la surveillance de masse (Déjà évoqué avec plus de sobriété dans Watching you). Ce morceau, que je trouve un peu trop long, n’est pas mémorable, loin s’en faut.
> Mélodies en boussole
Jarre, qui se replonge dans se premiers amours électroniques, s’envole dans l’espace avec Falling down (car oui, dans l’espace, on ne fait que tomber, je n’ai pas vérifié, mais passons) pour une variation sur le thème de Millions of stars (sa plus belle chanson des années 2000, rappelons-le). Pour ce morceau solo, l’attente est très élevé et Jarre ne faillit pas à se renouveler avec des enchaînements d’accord qui sortent des sentiers battus et un passage par la case »auto-tune ».
Petit nouveau dans le paysage de la musique électro, Siriusmo revendique l’héritage mélodique de son ainé dans Circus, une sorte de réplique des Chants magnétiques 2 où l’on croiserait les Daft Punk (essayez chez vous, c’est assz marrant). Progression d’accords à la Bach, ruptures mélodiques, c’est très rafraichissant mais surtout c’est un instrumental qui donne du plaisir à réécouter.
Enfin, Christophe, le compère des années belles bizarres lui, s’essaye non pas tant au magnétisme qu’à l’anglicisme sur Walking the mile, qui est un morceau totalement conceptuel, avec des effets dans tous les coins, un passage à l’harmonica, un « blues » hors spectre musical. A l’heure d’écrire cette chronique, je ne sais pas si j’ai aimé ou non cette course de flipper entre le folk singer revenu de tout et le chercheur de l’IRCAM n’arrivant à rien. Un ping pong mental qui trouve son paroxysme à la fin du morceau. Notons que cette chanson a été composée le soir des attentats de Paris du 13 novembre 2015.
Il s’est écoulé du temps depuis Métamorphoses, l’esthétique clean de ce disque avait rebuté beaucoup de fans habitué aux craquements des premiers albums. Electronica est un objet sonore pareillement lisse, avec la même équipe ou presque, mais il a pour lui des choix radicaux dans le style, des productions modernes qui n’ont rien à envier aux américains, et le choix des collaborateurs un peu « offs » – contrairement à l’épouvantable casting de Giorgio Moroder pour son album de 2015 Déjà-Vu – Jarre a ainsi mis fin à la querelle logiciel/hardware qui l’a peut-être entravé dans son expression discographique (malgré des annonces contraires multiples) depuis 2007, et tiré les leçons de l’échec artistique et commercial de Téo et Téa. Il a désormais une grande latitude dans les moyens de mettre en œuvre un style particulier pour chaque morceau, avec la limitation de la langue anglaise (on aurait aimé avoir sur Electronica des artistes de l’hémisphère sud), donnant une image de patchwork qui désoriente fans et critiques.
Le bilan de ces deux aventures Electronica est donc le suivant en ce qui le concerne: Jarre confirme son talent pour trouver des artistes nouveaux, son intérêt pour la jeune scène électro ne se dément pas. Et c’est toujours lui qui tient les manettes, qui tire ses collaborateurs vers le haut (les témoignages ne manque pas: Rone, Nicolas Godin, Marco G., …). C’est d’ailleurs avec une équipe rajeunie qu’il aborde la tournée Electronica World Tour en juin prochain.
> Track-list
1. The Heart of Noise Pt. 1: JM Jarre & Rone
2. The Heart of Noise Pt. 2: JM Jarre
3. Brick England: JM Jarre & Pet Shop Boys
4. As One: JM Jarre & Primal Scream
5. Exit – JM Jarre & Edward Snowden
6. These Creatures: JM Jarre & Julia Holter
7. Here For You: JM Jarre & Gary Numan
8. The Architect: JM Jarre & Jeff Mills
9. What You Want: JM Jarre & Peaches
10. Circus: JM Jarre & Siriusmo
11. Why This, Why That, Why: JM Jarre & Yello
12. Switch On Leon: JM Jarre & The Orb
13. Gisele: JM Jarre & Sebastien Tellier
14. Electrees: JM Jarre & Hans Zimmer
15. Swipe To The Right: JM Jarre & Cyndi Lauper
16. Walking The Mile: JM Jarre & Christophe
17. Falling Down: JM Jarre
18. The Heart of Noise (The Origin): JM Jarre

10 mai 2016
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